Jour 7

Partir.
Avec dans sa besace le chagrin des "au-revoir".

Il faut laisser le soleil, et l'odeur du thym ; digérer patiemment toutes ces mémoires emportées avec nous.

Dans nos chaussures, comme des pierres.
Nous sommes plus lourdes de vos vies, de vos os.

La parole est un trésor.
Promis, nous veillerons sur vos mots comme sur de l'or.

Attendez-nous ; à notre retour, nous vous raconterons.

A bientôt !


Jour 6

Se souvenir, c'est inscrire.
Dans la cire molle de la mémoire, les prénoms, les visages.
Les singularités.

Je me souviens de F.
De ses yeux humides d'humanité qui miroitaient comme des pièces de monnaie.

Je me souviens de J.
De la clarté sous la roche du corps, de la présence belle et du jardin de paix.

Je me souviens de G.
De ses iris translucides, et des vaisseaux rougies gondolant la paupière.

Je me souviens de B.
De son visage aux allures de porte sans serrure ; et pourtant, la malice pourfendant le regard.

Je me souviens de M.
De son entièreté, de sa parole vive, de ses emportements, de sa poésie généreuse et jolie.

Je me souviens de ces autres oiseaux rares, de ceux qui se ressemblent et de ceux qui détonnent.

Je me souviens du banc, de la place, des platanes ; de la vie en allée et de celle qui est.

Je me souviens des morts, des enfants, des vivants.


Jour 5

La multitude de  paroles collectées s'est amoncelée dans nos mémoires.

Par pile, et par rangées.

Amas. Cumul. Monticule.

Les témoignages mazanais ont des allures de montagne (de papier).

Laissez-nous vous raconter.

Les yeux humides et beaux. Les rangées de dents qui laissent passer le vent de la parole. Les sourires à l'adresse du souvenir. Les peaux parcheminées qui parle des soleils d'hier. Les exclamations musclées. Les fins de phrases en suspens dans les airs. Les grognements, les souffles rauques, la lassitude et les bras qui retombent comme des rideaux baissés. De grands rires gourmands, et d'autres au tintement d'oiseaux. Des mots pressés, des discours exaltés.  Des bulles vides aussi, des-rien, des-pas-d'avis-merci.

Des maximes colportées dans les rues ; une dit : il faut de tout pour faire un monde.

Immergées dans Mazan, qui est un petit monde, nous nous permettons de dire: il faut de tout pour dire Mazan.

Ce tout, nous le prenons, à plein bras, d'un seul geste: nous le hissons sur nos épaules.

Nous le restituerons à qui de droit quand...bruits de salive...quand...

Quand quoi, peuchère ?

Quand la place nette sera faite.


Jour 4

Des visages.
Une mer de visages dans laquelle nous avons eu plaisir à nous perdre.

Les yeux,  comme une fenêtre ouverte sur l'immensité.

Au détour d'une question, le fil du labyrinthe se dévide : on ouvre les tiroirs, éclaire l'arrière-boutique. L'envie de dire est là, se raconter aussi.

C'est si beau, cette parole qui se donne.

Elle est là qui surgit, sans fard, et sans habits, vêtue du seul plaisir d'être devenue récit.

Un conte, une fable.
Mieux.
Une légende personnelle.

Nous n'oublierons pas ces vies toutes tricotées de mots ; à la fois anecdote et mouvement du monde, chaque être rencontré était peuplé de tous. De celui qui est mort, de celle qui revient, de celui qui attend, de celle qui a froid ou de celle qui rit...

En eux, la foule, entassée, le présent, le passé.

Nous parlions de la place, ils nous parlaient du temps, sa ronde, sa cadence.


Jour 3

Jour 3.

Nous commençons à saisir le mouvement de la vague.
Sa naissance, son soulever, l'arrondi.
Quelque chose de grand à dire qui se contente...
De clapotis.

Il y a des propos lumineux ; c'est un fait.
C'est une fête.

Il y aussi de grandes blessures, des défaites.

La réhabilitation de la place du 11 Novembre et les problématiques qui en ont émergé ne sont pas qu'affaire de stationnement, ou de platanes absents.

C'est l'histoire de Mazan - ni ville, ni village- , et l'interligne dans son récit.

Le point de suspension.

Quelle narration, quelle fable pour demain ?

La place doit laisser place à la réinvention.

Pour certains, c'est bientôt ; pour d'autres, c'est trop tard.

Habitants de Mazan, à vos plumes, vos stylos : sur votre place vierge, écrivez la réponse.


Jour 2

Entre ombre et lumière, notre première récolte sur le vif dans les rues du centre-ville a souligné les émotions contrastées suscitées par la réhabilitation de la place du 11 Novembre.

Nous comprenons.

Nous saisissons que ce mouvement binaire, qui oscille entre l'anecdote personnelle et le récit collectif, est la manifestation d'une ligne, d'un souffle qui a la foulée de l'histoire : celle du temps.

Le temps, sans qui le monde n'aurait ni contours ni reliefs et ne trouverait pas de forme dans l'espace.

La transformation de la place est une petite croix griffonnée sur le calendrier des jours mazanais ; elle vient mettre un point - non pas final, mais virgule- et saluer une époque passée tout en annonçant une régénérescence, un autre printemps à venir.

Les métamorphoses ne se font pas sans heurts, ni sans peurs.

Ce sont des vertiges, des aubes inquiétantes.

Mais quand le fil tremble, l'équilibriste n'a pas d'autre choix que celui d'accueillir l'horizon qui se confond avec la ligne.

Choisie ou non, attendue ou non, la place neuve émergera bientôt.

Alors il faudra écrire son histoire, son récit : ses moments de joie, de détente et de partage solennel.

La vie sur la place reprendra son cours avec dans sa besace la force de l'héritage et la vitalité des choses envisagées.

Nous ne le supposons pas ; ce sont les paroles des vivants qui nous l'ont murmuré.


Jour 1

Lors de cette première journée, nous avons arpenté la ville et eu la chance de collecter des paroles fortes, spontanées, poétiques, saisies sur le fil généreux de la rencontre.

Merci.

Percevoir cette vitalité -ce pouls de la ville- qui traduit un attachement vrai à Mazan a été très émouvant.

Une première journée, et déjà des pages entières griffonnées. Des rencontres envisagées. Des possibles étirés. Et cette pensée belle, omniprésente, qui rassemble, dédiée aux platanes en allés.

De ce « déracinement », à la fois symbolique et matériellement nécessaire, nous ferons quelque chose.

Un poème, un chant, un récit.

L'au revoir sera dit.